lundi 24 février 2020

Lettre à Franco : une reconstitution appliquée des débuts du franquisme, mais qui manque de souffle

Espagne, en 1936, l’écrivain Miguel de Unamuno, intellectuel respecté, soutient publiquement la rébellion militaire, estimant qu’elle va rétablir l’ordre dans le pays. Mais petit à petit, au fil des incarcérations d’opposants, voire de leur exécution sans jugement, Miguel de Unamuno se rend compte que l’ascension de Franco au pouvoir est inéluctable et, avec lui, l’arrivée du fascisme.

De facture classique, Lettre à Franco propose une reconstitution minutieuse (mais un peu trop appliquée), des débuts du franquisme. Le thème, en lui-même, est important. Mais j’ai trouvé quand même que le film manquait de souffle. Certes, le point d’orgue, à la fin du film, du discours de l’écrivain devant un auditoire entièrement gagné à la cause fasciste, est un moment fort. Mais c’est un peu maigre au niveau de l’intensité globale du film.

Le cas Richard Jewell : sobre et épuré, plein d'émotion, un grand Eastwood

En 1996, Richard Jewell est agent de sécurité pendant les Jeux Olympiques d’Atlanta. Au cours d’un concert, il signale un colis suspect qui s’avère être une bombe. L’explosion fait deux morts et de nombreux blessés mais sans l’intervention de Richard, le bilan aurait été beaucoup plus lourd. Il est salué comme un héros… mais quelques jours après seulement, il est suspecté par la FBI d’avoir lui-même posé la bombe. Il devient alors l’homme le plus détesté des USA...

Clint Eastwood filme à nouveau l’histoire vraie d’un héros malgré lui, mais cette fois le héros devient, bien malgré lui, l’ennemi public numéro 1, à cause de l’acharnement du FBI et de l’emballement médiatique.  C’est un thriller intimiste, sobre et épuré comme le grand Clint sait si bien faire. L’histoire de gens simples (Richard et sa mère) pris dans une implacable machine. Le suspense n'est pas de savoir si Richard est coupable ou non. On sait qu'il est innocent. Mais comment va-t-il s'en sortir ? Et à quel prix ? Non seulement le film nous garde en haleine jusqu’au bout, mais il le fait avec une émotion

A travers le thème du héros ordinaire, cher au réalisateur, Clint Eastwood égratigne à nouveau le rêve américain, dénonçant les dérives du pouvoir, qu’il soit institutionnel avec le FBI ou médiatique. Il faut, pour le public, trouver un coupable. Et une fois qu’il est désigné, on refuse de faire machine arrière. Sans compter la versatilité de l’opinion publique, prête à vouer aux gémonies celui qu’elle célébrait en héros la veille.

Clint Eastwood fait une nouvelle fois preuve de sa formidable direction d’acteurs, tous remarquables, notamment Paul Walter Hauser, excellent dans le rôle de Richard.

Le cas Richard Jewell est un grand Eastwood, tout simplement…

lundi 17 février 2020

Queen & Slim : Trop démonstratif et trop maniéré pour convaincre.

En Ohio, un couple de deux jeunes afro-américains, qui viennent juste de se rencontrer, sont arrêtés le soir pour une infraction mineure du code de la route. La situation dégénère à cause du policier visiblement raciste, et le jeune homme finit par tuer, en position de légitime défense, le policier. Ils décident alors de fuire et commencent une cavale vers le Sud.

On peut dire que le film démarre plutôt bien. L'altercation avec le policier est filmée avec beaucoup de tension et le drame surgit avec force. Le problème, c’est que ça se gâte rapidement par la suite… Le film ne trouve son rythme et perd sensiblement d’intérêt. Il y a dans le scénario une intention politique évidente, sans doute trop évidente… et le film est bien trop démonstratif, le message est appuyé, très appuyé (la façon dont ce couple en cavale devient un symbole, presque un mythe, sonne faux). Quant à la réalisation, je l’ai trouvée souvent maniérée (comme par exemple avec cette manie désagréable de multiplier les dialogues hors champ, ou l'abus de ralentis...). Le tout culmine dans un épilogue surligné, presque ridicule, et qui n'en finit pas.

Dommage. Malgré une bonne idée de départ, le film ne m’a pas convaincu…

Un divan à Tunis : sur le ton de la comédie, un joli portrait de la Tunisie d'aujourd'hui

Selma, française d’origine tunisienne, décide de retourner dans son pays de naissance pour y ouvrir un cabinet de psychanalyste. Alors que son initiative semble incongrue à ses proches, de nombreuses personnes viennent finalement consulter, non sans certaines incompréhensions parfois... Mais alors que Selma commence à trouver ses marques, elle se rend compte qu’il lui manque une autorisation indispensable pour continuer d’exercer. 

Sur le ton de la comédie, Un divan à Tunis propose un portrait de la Tunisie d’aujourd’hui, après le printemps arabe, un pays en reconstruction, avec ses contradictions, ses fantômes du passé, ses espoirs et ses rêves. Le film propose toute une galerie de personnages hauts en couleur, croqués avec humour et tendresse, autour de la lumineuse Golshifteh Faharani.

Un joli film, plein de fraîcheur.

La fille au bracelet : le procès d'une adolescente, vu par ses parents. Passionnant.

Lise a 18 ans. Elle vit avec ses parents et son petit frère dans un quartier résidentiel sans histoire. Mais depuis près de deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie.

La fille au bracelet est d’abord un excellent film de procès, mis en scène avec beaucoup de précision et de réalisme, mais aussi de sensibilité dans les scènes intimes, par Stéphane Demoustier. Car on alterne les scènes au tribunal avec les scènes dans l’intimité de la famille. On adopte le point de vue des parents, surtout du père, qui, tout en soutenant leur fille, peuvent aussi être saisis par le doute... Le spectateur, dans l'indécision jusqu'au bout, est sous tension en attendant le verdict (que je ne révélerai pas ici évidemment…)  Et comme il se fonde sur l’intime conviction, une part de doute subsiste à la fin…

Mais c’est aussi un film qui parle de façon remarquable de l’adolescence et de la difficulté pour les parents à comprendre leurs propres enfants. C’est d’ailleurs ce que dit l’avocate de la défense, dans sa plaidoirie : qui peut vraiment comprendre une adolescente de 16 ans ?

Le tout est filmé avec beaucoup de précision et de finesse, sans excès de pathos. Le jeu des acteurs est d'une grande sobriété. Pour autant, le dernier plan est saisissant et assez bouleversant. A noter enfin la révélation de la jeune Melissa Guers, absolument formidable de justesse dans le rôle de Lise.

mardi 11 février 2020

Uncut Gems : un thriller violent et volubile, une leçon de cinéma

Howard Ratner est bijoutier à New-York, endetté et est poursuivi par ses créanciers. Aux abois, il est prêt à tout risquer pour rester à flot, simplement survivre.

Les frère Safdie ont encore frappé ! Dans ce thriller noir, violent, bruyant, volubile, urbain, nocturne, ils donnent une leçon de cinéma. La caméra est virtuose, toujours en mouvement. Les dialogues sont percutants. Le scénario vous prend et ne vous lâche pas, dans un rythme un peu fou, jusqu’au dénouement… qui m’a scotché et m’a laissé KO ! A noter aussi l’excellente bande originale électro et grisante composée par Daniel Lopatin (comme déjà pour Good Time, le précédent film des frères Safdie). Ce film est une vraie claque !

Et au coeur du film, une performance d’acteur incroyable d’Adam Sandler. On ne l’a jamais vu aussi habité, incarnant à la perfection un personnage complexe, à la fois pathétique, risible agaçant, et sympathique, touchant.

Uncut Gems, c’est l’évocation de l’attrait du fric, de ses magouilles et ses embrouilles, de la spirale infernale de l’endettement et de l’addiction fébrile du jeu. Le film nous embarque, à la fois grisant et anxiogène, jusqu’au paroxysme génial de son dénouement.

lundi 10 février 2020

The Gentlemen : un film de gangster truculent

Mickey Pearson, américain, est devenu l’un des barons de la drogue à Londres, grâce à son business autour de la marijuana. Quand il laisse entendre qu’il pense se retirer et qu’il cherche à vendre son affaire, la ville va entrer en ébullition. Complots, chantage, trahison… on ne sait plus qui sont ses alliés ou ses ennemis.

The Gentlemen est un film de gangster truculent, aux dialogues acérés et fleuris, avec son lot de bastons et d’hémoglobine. Action et humour sont au rendez-vous, avec un scénario à tiroirs qui ne manque pas de rebondissements. Le film n’a pas d’autre ambition que de divertir en proposant un véritable jeu de massacre tout à fait réjouissant… et c’est vraiment réussi !

Les acteurs réunis à l’écran s’amusent beaucoup, et nous avec eux ! Et quel casting ! Une mention spéciale pour Hugh Grant et Colin Farrel, tous deux géniaux. Bref, c’est vraiment fun !

La dernière vie de Simon : un joli conte fantastique

Simon a 8 ans. Orphelin, il vit dans un foyer, et il rêve d’une famille prête à l’accueillir. Un jour il rencontre Thomas et sa soeur Madeleine qui deviennent ses amis et l’invitent à passer le week-end dans leur famille. Les trois amis décident de faire un pacte de sang pour devenir frères et soeur pour la vie. Simon leur révèle alors son secret : il est capable de prendre l’apparence de n’importe quelle personne qu’il a déjà touché.

Dans un genre encore peu prisé dans le cinéma français, La dernière vie de Simon est un joli conte fantastique, teinté de mélo, qui lorgne du côté de Spielberg et Zemeckis. Et c’est franchement plutôt réussi. Cette histoire originale parle de filialité et d’identité, de vérité et de mensonge, de passage à l’âge adulte... Même si la fin est plutôt prévisible, mais émouvante, l'histoire est joliment racontée.

Une première réalisation prometteuse signée Léo Karmann.

#jesuislà : sympathique et attendrissant

Stéphane est chef d’un restaurant dans le Pays Basque et mène une vie tranquille voire monotone. Mais il rencontre virtuellement, sur les réseaux sociaux, une jeune femme sud-coréenne, Soo, avec qui il échange au quotidien. Un jour, sur un coup de tête, il décide de s’envoler pour Séoul. Mais contrairement à ce qu’elle lui a dit, Soo ne vient pas le chercher à l’aéroport. Stéphane va alors l’attendre dans l’aéroport de Séoul, et publier ce qu’il découvre sur les réseaux sociaux. Petit à petit il commence à faire le buzz.

Le film est un peu une fausse comédie romantique. Ce n’est pas une franche comédie même si on sourit souvent. Ce n’est pas non plus vraiment une histoire d’amour. C’est plutôt une fable moderne, qui parle de solitude, de crise de la cinquantaine, des mirages des réseaux sociaux… Et ça donne un film sympathique et attendrissant... peut-être un peu trop tendre quand même (le film ne manque pas de clichés et de bons sentiments).

Mais il y a Alain Chabat, excellent dans un rôle écrit pour lui. On ne peut que sentir de l’empathie pour un personnage qu’il rend éminemment sympathique.

jeudi 6 février 2020

Birds of Prey : confus et pas très fin... sauf les dernières minutes, vraiment fun !

Harley Quinn vient de rompre avec le Joker… mais personne ne le sait encore. Elle veut profiter de l’impunité dont elle jouit en tant que petite amie du criminel que tout le monde craint. Il faut dire qu’elle a accumulé pas mal d’ennemis avec ses frasques… comme par exemple Roman Sionis, un des barons de la mafia de Gotham, qu’elle va retrouver sur son chemin alors qu’il recherche une jeune fille qui lui a dérobé un diamant. Elles croisera également la Chasseuse, Black Canary et Renee Montoya, et devra même faire équipe avec elles pour affronter leur ennemi commun.

Il y a trois ans, le seul intérêt du naufrage Suicide Squad était le personnage d’Harley Quinn incarné par Margot Robbie. On pouvait donc espérer quelque chose pour son retour à l’écran. Mais, avouons-le, au niveau du scénario, ça n'a quand même pas beaucoup d'intérêt : c’est confus, on ne sait pas trop où on va, avec des retours en arrière incessants, une voix off d’Harley Quinn envahissante… tout cela n’est pas très convaincant, malgré quelques morceaux de bravoure et une bande originale musclée. On s’ennuie quand même un peu...

Mais il y a les dernières minutes du film... Et là, franchement, ça devient quand même assez réjouissant, avec une grosse baston dans un parc d'attraction abandonné pour un final pop trash, bad ass et girl power ! Dommage qu'on ait mis autant de temps à y arriver.. On pourrait presque se demander si une suite autour de la bande de filles, pour tout un film, ne pourrait pas valoir le coup !

Bref, Birds of Prey est un film qui ne fait pas dans la finesse et dont l’humour peut être un peu lourdingue. Mais son final réjouissant rattrape le coup. Et puis il y a Margot Robbie (de toute façon, quoi qu’elle fasse, c’est bien !) : son Harley Quinn complètement barge est une réussite.

lundi 3 février 2020

Cuban Network : Sur un sujet intéressant, un film trop dense, avec trop de protagonistes...

Au début des années 90, plusieurs cubains s’expatrient aux USA avec pour mission secrète d’infiltrer les groupuscules anti-castristes qui entendent faire chuter le pouvoir à Cuba, notamment en perpétrant des attentats sur l’île.

En explorant les coulisses de la guerre à distance entre Cuba et les USA, en les renvoyant, d’une certaine manière, dos-à-dos, avec leurs réseaux d’espionnage et de contre-espionnage, leurs enjeux politiques, leurs victimes collatérales, le film aborde un sujet très intéressant. On comprend qu’on ait de la matière pour un film… et même plus. C’est sans doute d’ailleurs le problème. En voulant tout explorer, Olivier Assayas, le réalisateur français de ce film international, propose un film trop dense, avec trop de protagonistes… et on finit par s’y perdre un peu. Un seul film n’y suffit pas. Peut-être pourrait-ce être un bon sujet pour une série, un peu à la manière de Narcos ?

Bien-sûr, c’est bien réalisé, bien joué, on apprend pas mal de choses… mais à cause de son trop plein d’informations, le film peine à passionner.

Les traducteurs : un thriller littéraire artificiel

Neuf traducteurs sont rassemblés dans une luxueuse demeure, sans aucun contact possible à l’extérieur. Leur mission : traduire dans le plus grand secret le troisième tome d’une trilogie, véritable phénomène de la littérature mondiale. Mais un hacker publie sur Internet les dix premières pages du roman et menace de dévoiler la suite si on ne lui verse pas une rançon énorme. Mais d’où vient la fuite ?

Les rebondissements et les chausses-trappes, dans un film de ce genre, c’est bien… mais il ne faut quand même pas en abuser. Et là, c’est quand même “too much”. Trop de twists tue le twist ! Le film souffre de ce que je pourrais appeler le syndrome de La Casa de Papel : une surenchère dans les rebondissements invraisemblables, avec des personnages excessifs… D’autant que ça pourrait être ludique mais le film se prend vraiment trop au sérieux... Du coup, au bout d’un moment on décroche. C’est ce qui m’est arrivé.

Jojo Rabbit : inclassable, plutôt gonflé... et vraiment réussi !

Dans l’Allemagne des années 40, Johannes (mais tout le monde l’appelle Jojo) a dix ans. Plutôt solitaire, il trouve de l’aide auprès de son ami imaginaire qui n’est autre qu’Adolf Hitler dont il rêve, un jour, de rejoindre la garde rapprochée. Mais quand il découvre que sa mère cache dans leur grenier une jeune fille juive, son monde semble s’écrouler.

Jojo Rabbit est un film assez inclassable, vraiment original. C’est une comédie burlesque et satirique, qui ose l’humour noir, mais c’est aussi un film tendre, poétique, émouvant, et un drame familial au milieu de la guerre et de l’idéologie nazie. En réalité, c’est avant tout un film à hauteur d’enfant, dont l’imaginaire constitue une bouée de sauvetage face à la folie et la haine des hommes.

Contrairement à ce que le pitch (et la bande-annonce) pouvait laisser croire, le film n’est donc pas qu’une simple farce. Loin de là. En mêlant la comédie et la tragédie, autour de l’horreur de la Deuxième Guerre Mondiale et du nazisme, il se situe dans la lignée de ses illustres aînés comme Le Dictateur, le chef d’oeuvre de Charlie Chaplin, ou La vie est belle de Roberto Benigni.

L’ami imaginaire de Jojo est une caricature de Hitler, vu à travers l'esprit d’un enfant, et sa compréhension de la propagande nazie dans laquelle il baigne. Derrière l’ironie, les discours de haine sont bien présents, et le film les dénonce avec la force de la satire mais aussi, à plusieurs reprises, avec celle de l’émotion et d’une certaine poésie.

Le casting est impeccable, avec un jeune Roman Griffin Davis craquant dans le rôle de Jojo, Taika Waititi lui-même (par ailleurs réalisateur du film) dans le rôle du faux Hitler, mais aussi deux très beaux rôles secondaires incarnés par les toujours excellents Scarlett Johansson (Rosie, la mère de Jojo) et Sam Rockwell (en officier allemand contraint de former les enfants de la jeunesse hitlérienne).

Jojo Rabbit est donc un film original, et plutôt gonflé, mais tout à fait réussi. Oui, on peut rire de tout (si c'est fait avec intelligence), y compris du nazisme et de Hitler... surtout quand c'est le pour les dénoncer, et d'autant plus à l'heure où certains de leurs avatars se font à nouveau entendre en Occident.