lundi 29 juin 2020

L'ombre de Staline : un passionnant portrait d'un lanceur d'alerte sur le stalinisme


Gareth Jones est un jeune journaliste qui a réussi à décrocher une interview d’Hitler alors qu’il venait d’accéder au pouvoir. Devenu conseiller pour la politique étrangère auprès du Premier Ministre britannique, il met ce dernier en garde contre le danger que représente Hitler mais en vain. Il décide alors d’aller à Moscou pour tenter d’interviewer Staline et comprendre le “miracle soviétique”. Il ne rencontrera pas Staline, mais il se retrouvera en Ukraine et y découvrira l’horreur de la famine organisée par le pouvoir soviétique. 

L’ombre de Staline propose un portrait d’un journaliste méconnu, véritable lanceur d'alerte de son temps sur les horreurs du stalinisme. Son récit aurait inspiré George Orwell dans l’écriture de son roman La ferme des animaux (qui est une satire de la révolution russe et une critique du régime soviétique). Et comme souvent pour les lanceurs d’alerte, Gareth Jones a eu du mal à être entendu… 

La reconstitution de l’URSS des années 30, de Moscou sous surveillance à l’Ukraine affamée, est remarquable. L’évocation de l’Holodomor, la grande famine en Ukraine, orchestrée par le pouvoir soviétique et qui a fait plusieurs millions de morts, est saisissante. Les horreurs du stalinisme sont étouffés par une propagande que l’Occident accepte sans sourciller, parce que les enjeux politiques et économiques sont plus forts que la recherche de la vérité. Finalement, le film évoque l’aveuglement d’un monde sur le point de s’effondrer, peu de temps avant qu’éclate la Seconde Guerre Mondiale. Au-delà de l’intérêt historique de son sujet, le film a une portée actuelle, mettant en garde toute société dont le rapport à la vérité est faussé (à l’heure des fake news et autres théories du complot, il est bon de l’entendre…). 

La remarquable réalisation d’Agnieszka Holland fait de cette page d’histoire à la fois un thriller, un film d’espionnage et un drame glaçant. C'est passionnant. A noter également l’excellente bande originale composée par Antoni Lazarkiewicz, qui n’est pas sans rappeler parfois certains grands compositeurs russes comme Prokofiev.

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L'ombre de Staline, un film britannico-polonais d’Agnieszka Holland

Benni : un drame percutant et fort


Benni est une enfant de 9 ans très perturbée qui va de foyer en foyer. Sa mère, complètement dépassée, est incapable de s’occuper d’elle. Victime de traumatismes dans sa petite enfance, Benni est très instable et agitée, elle a aussi des accès soudain d’extrême violence incontrôlable. Mais en réalité, elle n’aspire qu’à retrouver l’amour qu’on lui refuse. Une assistante sociale et un auxiliaire de vie scolaire vont tout faire pour l’aider. 

Benni est un drame percutant, un film dur mais vraiment touchant. Remarquablement mis en scène par Nora Fingscheidt, dont c’est la première réalisation (une réalisatrice à suivre assurément !), le film est un véritable cri déchirant sur le besoin d'amour. Les scènes où l’enfant explose littéralement de colère et de peur sont impressionnantes, la caméra devient subjective, évoquant le traumatisme qui refait surface et saisit Benni qui est alors submergée par une vague de violence verbale et physique. Certaines scènes sont même parfois assez difficile à voir. 

Le film réserve aussi des scènes bouleversantes d’émotion, notamment dans l’évolution de la relation avec Micha, l’auxiliaire de vie scolaire, ou lorsque l’assistante sociale qui se démène pour Benni, Mme Bafané, craque, ou à la fin du film, une scène d’une force émotionnelle rare de Benni avec un bébé (je vous laisse la découvrir). 

Réaliste et fort, le film décrit la détresse de Benni et le désarroi de ceux qui veulent l’aider, sans tomber dans la complaisance ou l’angélisme. Il évoque les conséquences dramatiques que provoquent chez un enfant le rejet, la violence, l’absence d’amour… il montre aussi la patience et l’abnégation de certains travailleurs sociaux qui cherchent sans relâche à trouver des solutions.

Dans le rôle de Benni, la jeune Helena Zengel est tout simplement extraordinaire de justesse, de force et de sensibilité. 

Un film très fort, dont on ne ressort pas tout à fait indemne. 

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Benni, un film allemande réalisé par Nora Fingscheidt


lundi 22 juin 2020

Un fils : un remarquable drame, intense et intime


Farès et Meriem forment un couple heureux. Avec Aziz, leur fils de 9 ans, ils sont une famille tunisienne moderne, plutôt privilégiée. Lors d’un séjour dans le sud du pays, ils se retrouvent sous les tirs d’un groupe de terroristes et une balle blesse grièvement Aziz. Pour le sauver, il faut envisager une greffe. Suite aux examens pour mesurer la compatibilité des parents pour une greffe, les résultats révèlent que Farès n’est pas le père biologique d’Aziz… 

Un fils est un drame remarquable, à la fois intense et intime. Intense par son suspense autour de la véritable course contre la montre qui s’engage pour sauver l’enfant grièvement blessé, et par les dilemmes qui se posent quant aux méthodes à adopter. Intense aussi par l’évocation d’une crise intime majeure traversée par un couple pour qui tout bascule en un instant. Cette intensité est filmée avec urgence par la caméra de Mehdi Barsaoui (dont c’est le premier film en tant que réalisateur) et incarnée magistralement par l’interprétation remarquable de Sami Bouajila d’abord, mais aussi de Najla Ben Abdallah. 

Le film parle bien-sûr de la filiation et de paternité, mais aussi des secrets enfouis qui finissent toujours par émerger. Il pose la question de la possibilité, et de la difficulté, du pardon dans le couple. Il s’inscrit enfin dans le contexte politique de la Tunisie d’aujourd’hui, entre modernité et archaïsme, avec l’ombre inquiétante de l’intégrisme religieux. 

La très belle scène finale offre une fin ouverte… mais il est permis de discerner, dans les regards de Farès et de Meriem, une note d’espoir ! Un film remarquable. 

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Un fils, un film réalisé  par Mehdi Barsaoui 

La bonne épouse : une comédie féministe et rétro


Depuis des décennies, l’école ménagère Van der Beck forme ses jeunes élèves pour qu’elles deviennent des épouses modèles et de parfaites ménagères. Mais, peu avant mai 68, alors qu’un vent de révolte commence à souffler, tout va se compliquer pour Paulette, la directrice, avec le décès de son mari Robert et la découverte de ses dettes qui laissent l'école ruinée...

La bonne épouse est une comédie féministe tout à fait réussie, qui adopte le ton d’une fable ironique et rétro. Les personnages sont assez caricaturaux (et c’est drôle !) mais l’évocation de la condition féminine dans les années 60 est, elle, finalement assez réaliste… où le seul destin possible d’une jeune femme semblait être de devenir une bonne épouse ! La fin du film, étonnante quant à la forme (mais je ne spoilerai rien !), ne laisse aucun doute sur l'intention féministe. Ces dernières scènes, que tout le monde visiblement n'apprécie pas, m’ont d'abord surpris, mais j'ai finalement été convaincu par cette conclusion à la fois ludique et militante !

Un atout incontestable du film est son brillant trio de comédiennes principales : Juliette Binoche, Yolande Moreau et Noémie Lvovsky. Elles sont toutes les trois assez géniales et très drôles ! Alors certes, le film est un peu moins convaincant dans les quelques moments d'émotion... mais La bonne épouse est avant tout une comédie et de ce point de vue, c'est réussi !

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La bonne épouse, un film réalisé par Martin Provost

lundi 15 juin 2020

Da 5 Bloods : Spike Lee revisite la guerre du Vietnam


De nos jours, quatre vétérans retournent au Vietnam pour retrouver et rapatrier le corps de leur chef, tombé au combat, mais aussi retrouver un trésor qu’ils avaient enfoui dans la jungle. Mais leur voyage sera aussi l’occasion pour eux de faire face aux fantômes qui les hantent depuis 50 ans.  

Avec Da 5 Bloods, Spike Lee revisite l’histoire et la mémoire de la guerre du Vietnam, en proposant une perspective afro-américaine, pour dénoncer la politique des USA, qui n’hésite pas à envoyer ses soldats noirs se faire tuer sur le champ de bataille mais ne leur garantit pas les droits de citoyens à part entière. Comme à son habitude, le propos est militant, appuyé (parfois un peu trop explicitement…) par des images d’archives, non seulement de la guerre du Vietnam mais aussi de discours de Martin Luther King ou Malcolm X par exemple, sans oublier d’égratigner à plusieurs reprises Donald Trump ! Le propos du film trouve évidemment un écho particulier dans l’actualité, avec le mouvement Black Lives Matter (explicitement cité à la fin du film). 

Comme souvent, le réalisateur mélange les genres : Da 5 Bloods est un film de guerre (avec des références explicites à Apocalypse Now et même Rambo !), certes, mais aussi un film d’aventure, un drame et un buddy movie. On pourra, certes, trouver le mélange un peu brouillon parfois, avec aussi quelques longueurs. Mais on ne peut nier l’ambition d’un film engagé et spectaculaire.

Un des propos du film est aussi de dire qu’on ne revient jamais vraiment d’une guerre. A cause des cicatrices béantes qu’elle laisse, à cause des fantômes qui continuent de hanter ses protagonistes, à cause des animosités qui sont entretenues… une guerre ne se termine jamais vraiment. Un élément intéressant de la mise en scène, qui surprend au début mais qui s'avère pertinent, sont les flashbacks où les vétérans revivent certains épisode de la guerre, tournés avec les mêmes acteurs, sans essayer de les faire paraître plus jeunes : en réalité, ils sont toujours là-bas… 

Bref, un vrai film de Spike Lee, engagé, comme toujours. 

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Da 5 Bloods, réalisé par Spike Lee
Disponible sur Netflix