lundi 19 octobre 2020

Drunk : un numéro d’équilibriste, à la fois drôle et tragique, existentiel et transgressif

Quatre amis, tous profs en lycée, décident de mettre en pratique la théorie (réelle !) d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès sa naissance un déficit d’alcool de 0,5 g dans le sang. Si, au début, les résultats sont encourageants, tant sur le plan de leur vie professionnelle que personnelle, la situation va vite devenir hors de contrôle… 

Drunk est un véritable numéro d’équilibriste, à la fois drôle et tragique, existentiel et transgressif, avec un formidable Mads Mikkelsen en funambule désabusé qui se perd dans l’alcool pour tenter de retrouver la flamme. 

Car Drunk ne parle pas seulement des risques de l'alcool et de l’alcoolisme. Loin de là. C’est avant tout un film empreint de nostalgie, sur la monotonie de la vie et la difficulté de trouver le bonheur. Un film aux accents existentiels, avec la citation de Kierkegaard au début du film : « La jeunesse ? Un rêve. L’amour ? Ce rêve », et toujours le même Kierkegaard, convoqué à la fin du film, lors de l’épreuve du bac, évoquant l’angoisse et la fragilité de la vie. 

Sur la question de l’alcool, le discours n'est pas manichéen, ni moralisateur. On pourrait peut-être le résumer ainsi : on n'est pas tous égaux face à l'alcool (on pourrait le dire de toute autre addiction...) mais si on n'y prend pas garde, ça peut vraiment foutre notre vie en l'air ! Mais Drunk assume un côté transgressif, louant aussi, dans certains cas, les bienfaits de l'alcool et même de l'ivresse. En tout cas la nécessité de perdre le contrôle… Un message qui prend tout son sens dans la scène finale, à la fois festive et inquiète, et en particulier sa dernière image arrêtée. 

On l’a déjà dit, Mads Mikkelsen est extraordinaire dans le film mais ses trois compagnons (Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe et Magnus Millang) sont au diapason. La réalisation de Thomas Vinterberg est ciselée et nerveuse. Vraiment un film passionnant. 

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Drunk, un film de Thomas Vinterberg


Josep : le dessin comme acte de résistance

Serge, un vieil homme en fin de vie, raconte ses souvenirs à son petit-fils. En février 1939, il était gendarme et chargé de garder un camp de réfugiés espagnols fuyant la dictature de Franco, dans des conditions indignes et insalubres. Mais il va se lier d’amitié avec l’un des réfugiés, Josep, combattant antifranquiste et dessinateur de talent. 

Ce beau film d’animation, sobre et fort, humaniste, est inspiré de l’histoire vraie de Josep Bartoli. Le film fait le choix d’une animation assez audacieuse, quasi expressionniste, pour évoquer une période sombre de notre histoire de France, avec l’accueil indigne d’un pays aux abois, encerclé par les fascismes (en Espagne, Italie, Allemagne). Mais c’est avant tout l’hommage d’un dessinateur (Aurel) à un autre dessinateur (Josep Bartoli), qui veut exalter le dessin comme un acte de résistance. Un message pertinent à l’heure où certaines caricatures sont sous les feux de l’actualité, de façon dramatique. Un dessin qui, parfois, dérange. Comme celui de ce visage d’un homme mort que le vieil homme garde précieusement, au grand dam de sa fille qui voudrait s’en débarrasser. Un dessin qui, finalement, va trouver sa vraie place à la fin du film (dans un très bel épilogue que je ne dévoilerai pas). 

Si Josep est un acte de résistance, c’est aussi un film sur la transmission et la mémoire, le courage, l’amitié. A découvrir. Vraiment. 

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Josep, un film d'animation de Aurel


lundi 5 octobre 2020

Kajillionaire : un film au ton singulier, pour évoquer le besoin vital de tendresse


Theresa et Robert vivent d’arnaques et de larcins en tout genre, et ils ont élevé leur fille, Old Dolio, pour qu’elle devienne aussi un parfait escroc. A 26 ans, elle vit toujours avec ses parents et ils partagent toujours en trois parts égales le fruit de leurs arnaques. Et puis, un jour, ils décident de proposer à Mélanie, une jeune femme rencontrée au cours d’un voyage, de les rejoindre dans leur nouvelle arnaque. 

Kajillionaire est un film au ton singulier, voire même assez étrange, tour à tour loufoque, presque surréaliste, mais aussi cruel ou cynique. C’est un portrait étonnant mais attachant d’une famille d’escrocs, incapables d’exprimer la moindre tendresse. L’histoire est souvent surprenante, et le dénouement assez savoureux !

C’est d’abord un film sur le besoin vital de tendresse, qui s’exprime à travers le personnage d’Old Dolio, avec sa personnalité complètement bridée, étouffée, et en quête de la tendresse que ses parents n’ont jamais su lui témoigner. Un besoin de tendresse qui s’exprime aussi dans le personnage de Mélanie qui ne reçoit de la part des autres, en particulier des hommes, qu’un regard avec bien peu de tendresse mais bien plus de lubricité. Et la rencontre improbable de ces deux jeunes femmes va changer la donne… 

Miranda July, la réalisatrice, propose un regard bienveillant sur ces personnages dysfonctionnels, un peu excentriques, avec leurs failles et leurs carences. Un regard qui, finalement, interroge la marginalité et la normalité. A noter, la performance assez étonnante d’Evan Rachel Wood dans le rôle d’Old Dolio et celle, savoureuse, de Richard Jenkins dans celui du père. 

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Kajillionaire, un film de Miranda July


A coeur battant : un couple à l'épreuve de l'amour à distance

 

Julie et Yuval s’aiment. Ils sont mariés et viennent d’avoir un enfant. Mais pour des raisons administratives, Yuval doit retourner en Israël pour renouveler son visa pour la France. Ils vont devoir un certain temps vivre leur amour à distance, par écrans interposés. 

Le film s’ouvre avec une scène d’amour dont on se rend compte assez rapidement qu’elle est en réalité vécue à distance, et ce que l’on voit, c’est alternativement l’écran de Julie et de Yuval. Ce dispositif cinématographique original va se poursuivre tout au long du film (sauf dans la scène finale) et se révèle pertinent et efficace pour le propos du film. 

A cet égard, le titre original du film est plus explicite que le titre français : The End of Love. Le film parle en effet de la fin de l’amour dans un couple, en l’occurrence celle d’un couple qui se délite, contraint de vivre leur amour par écrans interposés, et dont la relation va petit à petit être polluée par des soupçons, de l’incompréhension, de la jalousie, accentués par la distance. 

Qu'est-ce qui permet à un couple de durer ? En tout cas, le film tend à démontrer que l’amour a besoin de la présence concrète et ne peut pas se contenter d’une présence virtuelle. La technologie et les moyens de communication modernes ne peuvent pas remplacer une relation réelle et concrète. Evidemment, le film trouve un écho particulier dans le contexte sanitaire actuel, et l'expérience du confinement.

Ce couple qu’on voit se briser devant nos yeux est magnifiquement incarné par Judith Chemla et Arieh Worthalter, tous deux excellents. A noter également, la remarquable apparition de Noémie Lvovsky dans le rôle de la mère de Julie. 

Un film original dans la forme et très contemporain sur le fond. 

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A coeur battant, un film de Keren Ben Rafael