Fortuna a 14 ans, elle est éthiopienne et est accueillie avec d'autres réfugiés dans une communauté religieuse, au coeur des Alpes suisses. Elle y rencontre Kabir, un jeune africain dont elle tombe amoureuse. Mais son seul véritable confident est un âne, auquel elle confie ses interrogations et ses secrets. La communauté religieuse est perturbée aussi par l'accueil de ces réfugiés, ses membres se retrouvent tiraillés entre leur tradition d'hospitalité et certains événements qui viennent troubler la quiétude de leur vie religieuse.
Ancré dans des problématiques contemporaines, Fortuna est un drame social bouleversant sur la question de l'accueil des migrants et même, plus largement, sur l'accueil de l'autre, étranger, en général. C'est une très belle oeuvre de cinéma, réalisée dans un superbe noir et blanc, au milieu des paysages enneigés des montagnes suisses ou dans le clair-obscur des intérieurs, la nuit. Un travail précis et inventif sur les cadrages, la lumière, les plans larges et les gros plans (celui sur l'oeil de Fortuna alors qu'elle subit un examen médical, et dont une larme finit par couler est d'une beauté renversante). Par son rythme lent, méditatif, quasi-religieux, le film, loin d'être donneur de leçon, ne propose pas de solutions toutes faites à un problème complexe mais invite à la réflexion (jusque dans sa très belle fin, ouverte).
On suit le parcours de cette gamine perdue (incarnée par la touchante Kidist Siyum Beza), loin de ses parents (dont on ne sait rien), dans un pays si différent de ses origines et un monde qu'elle ne comprend pas, trop tôt confrontée à des problèmes d'adultes. L'horreur qu'elle a vécue dans sa traversée depuis l'Afrique est évoquée de façon sobre, à plusieurs reprises, notamment à travers de simples images de la mer agitée.
Et puis il y a la communauté religieuse qui accueille ces réfugiés. A travers elle, deux scènes clés du film nous interrogent quant à notre accueil. La première, au milieu du film, lorsque les cinq religieux discutent autour d'une table et font état de leur désarroi, de leur malaise suite à un événement survenu récemment et qui les a troublé. Le supérieur, frère Jean (formidable Bruno Ganz tout en force sereine et humanité) pose les bonnes questions : sommes-nous prêts à sacrifier ce qui nous est cher pour accueillir ceux qui en ont besoin ? Et la deuxième scène, un dialogue à la fin du film entre frère Jean et Monsieur Blanchet, qui s'occupe des réfugiés, interroge sur la meilleure façon d'accueillir et d'aider son prochain, sur l'importance de faire confiance plutôt que de choisir à la place des autres ce qui est bon ou mauvais pour eux : "parfois le mal, c'est le bien imposé."
La dimension spirituelle est très présente dans le film. D'abord à travers la jeune éthiopienne, dont la foi enfantine l'aide malgré tout à tenir (elle trouve secours dans la figure de la vierge Marie, au point même de s'identifier à elle). Mais aussi à travers la communauté religieuse : quand l'exigence évangélique de l'hospitalité vient troubler même les voeux religieux de silence et de prière, où est la priorité ?
Un très beau film, qui interroge notre capacité d'accueil de l'autre...
-----
Cet article est paru initialement dans Croire et Vivre, il est consultable ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire